La croix, pharmacie ou église ?

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Octobre 2020, « La croix, pharmacie ou église ? » – Patricia Cerezo, animatrice ENQUÊTE

Comme tous les mardis depuis la rentrée j’attends dans le couloir que la maîtresse de CM2 finisse son cours et libère les enfants qui ne participent pas à l’atelier. Les douze qui restent sont les miens. C’est ce que me dit la maîtresse en quittant la salle à son tour : « je vous les laisse. Ils sont à vous. »

Pendant une heure, je vais être le chef d’orchestre de cette joyeuse petite bande. Aujourd’hui, mission Chasse aux Symboles. Les enfants se regroupent par 3 et attendent impatiemment les instructions. « Petits enquêteurs, la mission, si vous l’acceptez, est d’entourer tous les symboles que vous trouverez sur le plan de quartier que je vais vous distribuer ».  « Tous ? », « oui tous », « Même la poste ? », « Oui même la poste ». En quelques minutes les plans sont noircis de cercles. 

« Petits enquêteurs, saurez-vous décrypter le sens de chaque symbole ? ». Un par un, et parfois tous en même temps, ils décrivent les symboles. « Moi je sais, moi je sais, le caddie, c’est le supermarché », un autre : « le H, c’est l’hôpital », Un troisième, « la croix, c’est la pharmacie », son voisin « non, non, la croix c’est l’église ».

« Ah, vous avez trouvé deux types de symboles les petits enquêteurs : les symboles de la vie quotidienne et les symboles religieux. Regardez les croix, elles ne sont pas tout à fait pareil. Une des croix représente la pharmacie et l’autre croix, représente une église. Avez-vous repéré d’autres symboles religieux sur le plan ? », « oui, oui, moi je sais, l’étoile », « le croissant aussi ».

« Qu’est-ce que ça veut dire que les trois symboles religieux que vous avez cités soient dans le même quartier ? ». « ça veut dire qu’on peut pratiquer la religion qu’on veut ». « Moi j’ai voyagé dans un pays où on n’avait pas le droit », « Mais, à l’école on n’a pas le droit de porter de signaux religieux ». « mais si, regarde, j’ai un collier étoile sous mon pull ».

Juste en regardant le plan d’un quartier de Paris, les enfants ont décrit les principes de la laïcité.

Les symboles des trois religions repérés sur le plan sont aussi un point de départ pour aborder d’autres symboles religieux moins familiers, et par la même occasion mentionner des convictions que les enfants connaissent moins. On parle de la roue de Bouddha et du « aum » hindou. Évidemment ils se mettent tous en position de méditation les bras écartés et les yeux fermés pour fredonner un « aum » retentissant. Ils sont étonnés et amusés que ce son puisse être le symbole d’une religion. On parle aussi des vaches sacrées et du dieu à la tête d’éléphant. Coup de bol, j’ai vécu plusieurs années en Inde et je peux répondre à presque toutes leurs questions. Je suis moins calée en shintoïsme, mais nous découvrons ensemble, à force d’hypothèses et grâce aux anti-sèches que je me suis préparées la signification de La Porte.

L’activité suivante consiste à dessiner les symboles. Dans le bruissement des enfants qui sortent feuilles et feutres j’entends une voix : « Il manque un symbole » « Ah oui, lequel ? ». « Celui d’une arme ». « Une arme ? mais enfin pourquoi faire ? », « Parce que la religion c’est le terrorisme ».

Je ne suis même pas surprise. Les médias sont saturés d’informations sur les crimes commis par des fanatiques religieux. Le procès des attentats de Charlie Hebdo a lieu en ce moment et quelques jours après cet atelier, à l’heure où j’écris cette chronique, un professeur a été assassiné parce qu’il enseignait la liberté d’expression à ses élèves. Bien sûr que les enfants associent le mot violence au mot religion. Ils ont envie de tout rejeter en bloc. La religion c’est nul. Le rôle de l’atelier est justement d’apaiser la relation des enfants aux faits religieux. De leur faire comprendre que la laïcité c’est le respect de toutes les convictions. Je ne me suis jamais sentie aussi utile.

L’atelier est un moment privilégié pour laisser les enfants s’exprimer sur le sujet, de débattre entre eux. Notre rôle d’animateur et de relancer les échanges en leur posant des questions. « Pourquoi dis-tu ça ? », « Les autres, qu’en pensez-vous ? ».  Assez vite les enfants abordent le manque de tolérance et de respect des fanatiques. « Que faut-il faire pour favoriser la tolérance et le respect ? ». « Il faut s’intéresser aux autres ».  En une phrase l’enfant qui a prononcé ces derniers mots a donné tout son sens à l’atelier. S’intéresser aux autres, à leur culture, à leurs convictions. Les connaître pour mieux les respecter.

Ensemble nous sommes d’accord pour dire que la laïcité ne doit pas être une négation de la religion, mais le respect de toutes les personnes, quelle que soit leur conviction. En les écoutant parler à nouveau des convictions dont nous avons décrit les symboles, qu’ils ont dessinés, je commence à réfléchir à la semaine prochaine. Ce sera un débat : « multiplicité des identités & diversité des convictions » dont l’objectif est d’apprendre aux enfants à distinguer origine géographique et culturelle, nationalité et conviction religieuse et leur faire prendre conscience que ces catégories ne sont pas nécessairement liées entre elles. En ramassant les dessins colorés de symboles je lance : « Petits enquêteurs, la semaine prochaine, on dégomme  les pré-jugés, tenez-vous prêts ! ».