La frise chronologique des convictions

Octobre 2022, « La frise chronologique des convictions » – Salomé Sieradzki, stagiaire ENQUÊTE

L’année scolaire touche presque à sa fin, mais il reste encore 3 ateliers pour le groupe des Petits enquêteurs de la laïcité, de nouveau au complet après que certains élèves sont partis en classe découverte, la semaine passée. 

– On fait quoi aujourd’hui, Orla ? demande Lila.

– Une frise chronologique sur plein de convictions ! 

– Ah c’est comme en Histoire, avec le Moyen-Âge et l’Antiquité ?

– Oui, c’est ça. Pour construire la frise, je vais distribuer à chacun une carte sur laquelle est dessiné un symbole. Votre but, c’est d’essayer de trouver de quand date la conviction qui correspond au symbole, autrement dit depuis quand cette conviction existe. Ou du moins, à quand remontent les plus anciennes traces qu’on a de cette conviction. Vous placerez les symboles sur la grande frise, qui est juste devant vous, sur l’îlot de tables. Vous avez 10 minutes pour faire ça ensemble et après on en parle. Vous êtes prêts ?

Sur les traces de l’athéisme 

Les enfants échangent tous ensemble et sont parfois étonnés des symboles qu’ils ont en main. Grégoire doit s’occuper de placer la roue du dharma, symbole du bouddhisme, tandis que Julie est surprise d’avoir une étoile qu’elle ne reconnaît pas, une de ses camarades l’aide : c’est  l’étoile de David, symbole du judaïsme ! 

Le groupe repart dans ses délibérations et on peut discerner quelques bribes de conversations : « C’est à partir de l’an 1 qu’on a décidé de faire le christianisme » ; « La religion de la Rome antique c’est pas en l’an 1500, c’est dans l’Antiquité ! » ; « Pourquoi le signe des vaudous, il est bizarre ? » ; « Bouddha a vécu dans les années 500 ». La constitution de la frise avance rapidement et Orla en profite pour leur poser quelques questions :

– Vous remarquez quelque chose avec les cartes ?

– Certaines croyances n’ont pas de symboles pour les représenter et on prend autre chose pour les représenter.

– Exactement ! On a pris par exemple les statues des dieux grecs pour les religions de la Grèce antique. Et parfois on n’a pas de symbole : c’est le cas de l’athéisme. Et selon vous, quelles sont les premières traces qu’on a de personnes qui déclarent ne pas croire en des dieux ? Où placer la carte de l’athéisme ?

Les élèves ne sont pas d’accord, ils hésitent entre les années 2000, 1900, 1160 et même 500.

– Alors là vous vous rapprochez de la date mais c’est plus loin dans le passé !

– Mais comment peut-on savoir ce que les gens pensent ?

– Bien vu, vous pensez que c’est possible pour nous de savoir ce que les gens pensaient il y a des milliers d’années ??

– Peut-être s’ils l’écrivent ?

– C’est vrai – il faudrait que ce soit écrit et que ce soit préservé. Donc à votre avis à quand remontent les premières traces qu’on a des personnes qui ne croient pas en des dieux ? 

Elle les laisse avec cette question pour passer voir les autres groupes. Une fois les dix minutes écoulées et beaucoup de discussions entre les enfants pour se mettre d’accord, Orla déplace les cartes qui ne sont pas correctement positionnées pour que la frise soit complète et claire. Ils sont ahuris : les premières traces de l’athéisme datent de 500 avant notre ère ! Sans même qu’Orla ait le temps de relancer la discussion, les enfants ont plein d’interrogations.

La liberté religieuse dans le monde

– Orla, le croissant de lune, c’est le drapeau de l’Algérie ?

– C’est vrai qu’il y a un croissant de lune sur le drapeau de l’Algérie. Pourquoi pensez-vous qu’il y a des symboles religieux sur les drapeaux de certains pays ?

– Parce que c’est le pays qui a créé la religion, propose Ilan.

– Les autres, vous en pensez quoi ? Les religions sont “créées” par des pays ?

– Non, le christianisme c’est pas un pays qui l’a inventé, rétorque Lila.

– C’est parce que dans le pays en question, la religion est beaucoup pratiquée ?

– C’est presque ça !

– C’est la religion principale du pays !

– La religion qu’on doit normalement suivre et que certains ne suivent pas ?

– Vous avez tous des éléments de réponse ! En fait, quand il y a un symbole religieux sur un drapeau, c’est souvent pour montrer la religion officielle de l’État. Il y a des pays, par exemple en Arabie Saoudite, qui obligent les gens à avoir cette religion officielle. La manière de croire et de pratiquer est définie par le pays et d’autres personnes qui n’ont pas la même façon de croire ou encore n’ont pas de religion doivent le cacher. 

– Pourquoi ils doivent le cacher ?

– Parce que sinon ils vont en prison ! propose Luca. 

– Oui, ces personnes peuvent risquer la prison ou la mort, s’ils sont athées par exemple. Il y a d’autres pays où il y a une religion officielle, mais qui ne ressemblent pas du tout à l’Arabie Saoudite ! En Angleterre, par exemple, mais chaque personne est libre de choisir sa conviction, comme en France…

La première religion du monde

En passant du coq à l’âne, Julie pose une question très intéressante : « Quelle est la première religion du monde ? ». 

– Très bonne question. Est-ce que c’est possible de savoir ça ? Comment on pourrait faire pour dater une religion ? demande Orla.

– Bah, la Torah on sait que c’est un livre et on sait que le judaïsme est apparu avec la Torah du coup.

– Très bien, la Torah par exemple, c’est un livre qui nous apprend des choses sur le judaïsme. Mais le judaïsme a commencé avec l’écriture de la Torah à votre avis ? Est-ce que c’est seulement les livres écrits qui nous permettent de dater une religion ?

– Noon, clame le groupe.

– On pourrait faire des recherches pour avoir des preuves. Mais on ne trouverait pas exactement la bonne année, propose Gaëlle.

– Oui, effectivement c’est le travail des archéologues et des historiens. N’y-a-t-il pas autre chose que les écrits ? Est-ce que les premières religions avaient forcément des livres sacrés ? 

– Non. La première Torah ressemblait à un rouleau à pâtisserie, c’était comme un parchemin géant, explique Julie.

– Oui c’est vrai que les Torahs ne sont pas à la synagogue sous forme de texte relié, même aujourd’hui. Et par exemple, est-ce que certaines religions ont pu exister sans qu’on en retrouve des traces ? 

– Bah peut-être que les hommes préhistoriques avaient des religions et comme ils n’ont pas encore l’écriture ils n’ont pas laissé de traces ?

– Oui, bien vu ! On n’est pas dans la tête des hommes préhistoriques et des premiers êtres humains – finalement on peut pas trop savoir parce que, comme on n’a pas de traces, on n’a pas de réponse à cette question !

Les momies et les croyances des premiers hommes

Toujours en passant du coq à l’âne, la discussion se déplace vers l’Égypte antique, une période et une religion qui semblent passionner les enfants.

– On a quoi comme traces pour l’Égypte antique ? demande avec curiosité Lila.

 Les suggestions fusent dans la classe : 

– Les statues, les temples et les pyramides !

– Les pharaons et les momies !

– Oui, vous avez raison ! On peut même rajouter les écritures, vous connaissez les hiéroglyphes. On a aussi des textes de l’Égypte antique : le Livre des morts des Anciens Égyptiens. Anubis, une divinité avec une tête de chacal, explique comment enterrer les personnes pour qu’elles vivent dans l’au-delà.  

– Moi, j’ai lu que les Égyptiens ils enlèvent les organes des cadavres, et ils mettent le cœur et les poumons dans une jarre, ils jettent le cerveau et pour eux c’est le cœur qui est le plus important ! explique Flavien.

– Et si le cœur est plus lourd que la plume, ils sont dévorés et ne peuvent pas continuer dans l’au-delà ! Et ils peuvent même se faire enterrer avec leurs animaux de compagnie et leurs esclaves.

– Que vous êtes cultivés ! Je vois que le sujet vous passionne !

– Orla, j’ai une question sur les pyramides. C’est leurs tombes ?

– Il n’y a pas de pyramides pour tout le monde, ce sont les plus riches et les gens importants qui sont enterrés sous une pyramide.

– Et Cléopâtre, elle a sa pyramide aussi ?

– On n’a pas encore trouvé sa momie, seulement des textes. 

– Mais, les momies c’est qu’en Égypte ?

– Alors non, c’était pratiqué aussi dans d’autres cultures, comme chez les Incas et les Vikings, qui conservaient leurs momies avec le froid ; on en a retrouvé dans les marécages d’Irlande par exemple. Bon, finalement, en quoi cette frise est intéressante ? Ça nous montre quoi ? Vous avez appris quoi ?

– Bah, je savais pas qu’il y avait des dates différentes, explique Younès.

– Oui, c’est vrai, grâce à la frise, on visualise des dates et des périodes, confirme Jonas.

– On apprend aussi que des religions disparaissent comme en Égypte antique parce qu’aujourd’hui, on dit que c’est une religion éteinte.

– Et aussi qu’on n’est pas dans la tête des hommes préhistoriques et du coup on peut pas savoir si les premiers humains, croyaient en un seul, plusieurs ou aucun dieux ; peut-être qu’il y avait déjà plein de religions différentes !

– Et bah, vous en avez compris des choses !

Orla en profite pour résumer en fin de séance : “Donc, maintenant vous savez à peu près placer les différentes convictions sur une frise et vous savez aussi que les religions apparaissent au cours de l’histoire : certaines sont très anciennes, d’autres très récentes, certaines ont disparu ! Et on a même pu voir que finalement il y a des limites à nos connaissances historiques sur les croyances des premiers êtres humains.”

La frise complétée sur l’îlot central, Orla la prend en photo : « je veux en garder une trace parce qu’elle est vraiment belle ! », « ben et nous ?? tu nous l’envoies ? »