Vous prendrez bien un chocolat à la laïcité?

Janvier 2022 – “Vous prendrez bien un chocolat à la laïcité ?” – Orla Eady, Service Civique ENQUÊTE

La date du 9 décembre, journée de la laïcité à l’école, approche ; pendant le conseil des maîtres, une directrice d’école élémentaire exprime le souhait que ses collègues enseignants mettent en place une activité pour cette journée.

Professeure des écoles à Paris, Olivia nous a raconté son expérience de la séance “Savoir & Croire”, qu’elle a réalisée avec ses élèves de CP. Conçue par des enseignants du groupe de travail “EMC Partageons”, en collaboration avec l’association ENQUÊTE, cette séance a été mise en œuvre par Olivia à l’occasion de la journée de la laïcité. 

Le but est de faire classer des énoncés aux élèves en deux catégories : « On sait » ou « On peut croire ou ne pas croire ». Olivia répartit les élèves en petits groupes et chacun reçoit une page avec deux colonnes et une séries d’étiquettes : ‘Il y a un stylo rouge dans cette classe’ – ‘Vendredi 21 décembre, le maître/la maîtresse diffusera un film’ – ‘L’eau peut être à l’état solide’ –  ‘Il y a un stylo rouge dans la salle d’à côté’ – ‘Pour qu’une plante pousse, il faut qu’elle ait de l’eau’ – ‘Le directeur/La directrice aime le chocolat’ – ‘5+5=10’ et enfin ‘Dieu existe’. 

Cependant, avant de commencer la classification, il s’agit d’introduire la séance et de commencer à saisir les différences entre les deux catégories.

La chasse aux chocolats

Olivia leur présente tout d’abord une boîte de chocolat. Elle demande : “Pouvez-vous me dire ce qu’il peut y avoir à l’intérieur ?”. Les réponses sont immédiates – des chocolats bien sûr ! 

– C’est pas obligé ! remarque un élève

– Mais comment est-ce que vous pourriez le savoir ?

Seules quelques secondes de réflexion sont nécessaires avant que les élèves ne sentent le besoin d’ouvrir la boîte pour vérifier. Olivia ouvre la boîte pour révéler… des trombones ! Le groupe est stupéfait. « Qu’y-a-t-il dans la boîte ? Pourtant vous m’avez dit que vous saviez qu’il y avait des chocolats ». La leçon est vite intégrée, il aurait fallu vérifier pour savoir ce qu’elle contient. Ils passent ensuite aux énoncés qu’il faut classer dans deux colonnes. Soucieux de ne pas se faire avoir de la même manière qu’avec la boîte de chocolats, les élèves sont plus prudents dans leurs réponses désormais.

Enquêtes

La prochaine vérification se fait par le biais d’une escapade dans la salle d’à côté pour trouver un stylo rouge. Une chasse au trésor se crée dans les classes voisines où les collègues d’Olivia mettent en œuvre cette séance dans leurs classes également. La journée de la laïcité s’annonce mouvementée !  Tout le monde joue le jeu, des groupes de reconnaissance sont envoyés pour vérifier les informations avant de classer les énoncés dans les colonnes. De retour, les élèves passent au tableau pour raconter leurs trouvailles et expliquer pourquoi ils posent telle étiquette dans la colonne “on peut croire ou ne pas croire”, telle autre dans la colonne “on sait”. Ensemble, ils réalisent un grand poster qui sera affiché dans la classe tout le reste de l’année pour les aider dans leur réflexion dans d’autres matières comme les mathématiques et les sciences – Olivia explique que, pour avoir des connaissances en sciences, il faut qu’elles soient vérifiées !

Olivia propose ensuite la prochaine grande enquête : “la directrice aime le chocolat”. Les élèves sont plus rapide cette fois-ci et différentes façons de vérifier sont proposées par les groupes : 

– On pourrait aller dans son bureau quand elle n’est pas là et vérifier s’il y a des chocolats dans ses tiroirs !

– On pourrait la surveiller pour voir si elle mange du chocolat ?

Olivia suggère cependant de laisser de côté les techniques d’espionnage. Un autre groupe propose de lui demander ; Olivia leur conseille de l’appeler pour qu’ils puissent lui demander eux-mêmes. Surprise ! La directrice les invite dans son bureau pour qu’ils viennent voir dans ses tiroirs qu’elle a des chocolats. Avec ces indices en main, les petits enquêteurs estiment qu’ils ont beaucoup d’éléments qui leur permettent de penser que, effectivement, la directrice aime le chocolat. Cependant, ils en viennent à se dire que la seule personne qui peut vraiment savoir si elle aime le chocolat ou pas, c’est la directrice elle-même ! Ils placent alors l’étiquette dans la colonne de “on peut croire ou ne pas croire”.

…et Dieu dans tout ça?

Très vite, il est temps de donner la dernière étiquette aux élèves : “Dieu existe”. Ils sont surpris, la maîtresse leur parle de Dieu ! Le groupe se pose un instant pour échanger sur les raisons de le classer dans une colonne ou l’autre. Le conversation monte en volume et Olivia décide de réguler la parole avec un bâton afin que tout le monde puisse partager sa réponse. Olivia nous fait part d’un grand moment de partage et d’échange avec les élèves 

– Moi, je sais que Dieu existe ! clame un élève. 

Cependant tout le monde n’est pas d’accord – une classe qui habituellement a du mal à s’écouter discute de cet énoncé  sur lequel chacun a quelque chose à dire, un avis, une histoire.

– Est-ce que vous pensez qu’on peut le vérifier de la même façon que le stylo rouge ou la boîte de chocolats ? Vous le mettez dans “savoir” ?

Le lien qu’ils tissent ensuite est avec… Louis XIV ! Dieu existerait car on aurait plein de tableaux de lui. Les petits historiens de l’art comparent les représentations de Dieu avec celles de Louis XIV qu’ils ont vues en classe. Comment leur renvoyer la question pour qu’ils fassent la différence entre un savoir historique et une croyance ?! se demande alors Olivia.

Il faudrait sans doute y consacrer une séance à part entière, lors de laquelle les élèves pourraient réfléchir à la question de la représentation : est-ce qu’un dessin de quelque chose témoigne forcément du fait que la chose existe ? Par exemple, si je dessine une licorne ou un fantôme, est-ce que ça veut forcément dire qu’ils existent, en dehors de dans ma tête ? Et est-ce que s’il n’y a pas de dessin de quelque chose, ça veut dire a contrario que la chose n’existe pas ? Par exemple, je ne peux pas vraiment dessiner “l’amitié”, “l’égalité”, “l’amour”, etc., est-ce que pour autant ça n’existe pas ? Finalement, est-ce que c’est uniquement parce qu’on a des portraits de Louis XIV que l’on sait qu’il a vécu ? N’a-t-on pas d’autres sources, des traces, qui témoignent de son existence ? Quelles peuvent être ces traces ?

Bon, mais pour l’heure, revenons à notre séance ! Une autre élève partage alors sa vision des choses. Elle fait le lien entre Dieu et un exercice qu’ils ont fait en classe : une méditation pour les enfants. Olivia pratique avec eux cette méditation lorsqu’il faut être calme ; c’est une médiation qui permet aux élèves de se recentrer et de se sentir en sécurité. 

– Dieu, moi, il me parle et c’est comme quand on fait “calme et attentif comme une grenouille”.

– Ah, d’accord, est-ce que tu veux expliquer à tes camarades ce à quoi tu penses ? propose Olivia

L’élève explique avec ses mots que Dieu est pour elle comme le refuge de la méditation qu’ils ont fait en classe. Olivia l’aide un peu, elle suggère que le refuge, c’est un endroit qu’ils peuvent trouver, qui est différent pour chacun et même que ce n’est pas important de tous avoir le même refuge ; l’imposer n’aurait pas de sens, chacun a son propre “refuge”. L’élève conclut en disant qu’elle y croit et qu’elle aime y croire, cela fait partie de son refuge. Avec ce lien établi, ils arrivent à se mettre d’accord pour placer l’étiquette ‘Dieu existe’ dans la colonne du croire. Un élève prend la parole pour résumer ce qu’il a appris :

– Je crois très fort à Dieu mais jamais j’irais dire à mes copains que je sais puisque ça se vérifie pas, je dirais “je crois”.

– Il n’y a pas de preuves de Dieu donc on peut y croire ou non, ajoute sa camarade.

Trombones et boule de gomme

Les élèves repartent chacun avec une belle synthèse qu’ils ont élaborée par eux-mêmes. Olivia est ravie : de manière ludique, ils ont abordé ensemble la notion de vérification des savoirs, essentielle  aux élèves car elle permet de s’interroger sur les connaissances et sur comment elles sont construites. Ils ont appris aujourd’hui à comprendre et vérifier leurs savoirs – de vrais petits enquêteurs en herbe. 

Olivia est également contente d’observer que ses élèves ont su argumenter leurs réponses et que cet atelier-débat leur a permis de partager un moment d’échange ambitieux lors d’une activité ludique – Olivia cite un lien de confiance tissé, une étincelle. D’après elle, ses élèves étaient ravis de pouvoir parler de leurs croyances et de sentir qu’on les écoute à ce sujet. Ils ont également adorer mener l’enquête pour vérifier les savoirs.

Olivia conclut : “Cette séance reste pour moi un moment fort de l’année, une séance à laquelle repenser lorsque mes élèves sont moins disposés à s’écouter et à rire ensemble d’une boîte de trombones déguisée en chocolats !”.