Stéréotypes

Qui sommes-nous ?

Une classe de 4e d’un collège du 12e arrondissement de Paris.

macaron stéréotypes

Contexte

L’atelier a eu lieu chaque semaine, d’avril à juin 2017 dans le cadre de l’Enseignement moral et civique. 

Notre recherche
1. Nos questions de départ

Les sujets qui ont remporté le plus d’adhésion parmi ceux proposés par l’ensemble de la classe ont été : « Parle-t-on de religion, entre amis, à l’école ? Comment en parle-t-on ? » ; « Manger, les religions et la laïcité » ; « Quelles images a-t-on des différentes religions ?  »

2. La question que nous avons choisie

Les élèves ont choisi ce dernier sujet et l’ont reformulé : quels sont les stéréotypes sur les personnes des différentes croyances ? 

3. Les questions… que cette question pose !

Qu’est-ce-qu’un stéréotype ?

Quelles sont les stéréotypes sur les personnes des différentes religions ?

Y-at-il des stéréotypes sur les personnes qui n’ont pas de religion ?

Qui a ces stéréotypes ? Les personnes extérieures à telle religion ? Les personnes adhérant à telle religion ? tous ?

Comment naissent les stéréotypes ?

Les stéréotypes ont-ils des conséquences ?

Pourquoi tout le monde a-t-il des stéréotypes en tête ?

4. Nos prédécesseurs (état de l’art)

Le mot « stéréotype » vient de la « typographie ». Il s’agit d’utiliser des caractères d’imprimerie fixes. Le terme prend peu à peu un sens métaphorique et aujourd’hui seul celui-ci demeure dans le langage courant. C’est l’idée de fixité qui est essentielle. Il s’agit de répéter les mêmes choses sur un sujet. C’est d’abord l’adjectif « stéréotypé »  qui est utilisé puis au XXe siècle apparaît le nom « stéréotype ». Dans les années 1920, des chercheurs s’intéressent aux « stéréotypes ». Les définitions de ce terme insistent sur la généralisation, la simplification, les habitudes de penser, les préjugés. Le stéréotype peut être défini comme une croyance qui se présente comme une connaissance. Le stéréotype dit des choses « simples » et non « complexes », acquises de seconde main plutôt que par l’expérience directe, et il ne change pas ou très peu. Les chercheurs se sont intéressés aux origines et aux fonctions du stéréotype (à quoi cela sert-il ?). Dans le langage courant, le stéréotype est négatif et nocif. Les chercheurs ont aussi insisté sur ce point, mais ont complexifié les choses : les stéréotypes sont aussi une manière de comprendre la réalité en faisant des catégories, en dépit de leur caractère nécessairement réducteur.  (à partir de Ruth Amossy, professeur à l’université de Tel-Aviv, est spécialiste de littérature française, d’analyse du discours et d’argumentation et Anne Herschberg Pierrot, professeur de littérature française à l’université de Paris-8, Stéréotypes et clichés, 3e éd. Armand Colin, 2011).

5. Notre « protocole de recherche »

Les élèves ont mené une expérience en classe. L’animatrice a rassemblé de manière anonyme les associations que les élèves ainsi que le professeur et l’animatrice de l’atelier faisaient lorsqu’ils entendaient les mots : juif, chrétien, musulman et athée. Pour chaque mot, chaque participant avait 30 secondes pour noter sur une fiche les mots qui lui passaient par la tête, avec pour consigne de ne procéder à aucun filtrage : tout pouvait être écrit même ce qui apparaissait immédiatement à la personne comme un stéréotype, voire un stéréotype choquant. L’animatrice a ensuite traité les données en listant les mots apparus et en comptant le nombre de fois où ils apparaissaient. Elle  a créé une représentation graphique par anamorphose des associations aux 4 mots grâce au logiciel Excel. Les élèves ont ensuite réfléchi collectivement aux associations à partir de ces représentations graphiques. Pour ce faire, l’animatrice a proposé de séparer les mots qui semblaient relever du stéréotype des autres. Il s’agissait ainsi de définir par la discussion collective sur des associations concrètes ce qu’était un stéréotype, de connaître les stéréotypes sur les juifs, chrétiens, musulmans et athées dans la classe, en partant de l’hypothèse que ces stéréotypes sont charriés par la société dans son ensemble, et de réfléchir à ces stéréotypes. Ce sont les élèves qui formulaient leur désir de parler en profondeur de tels ou tels stéréotypes.

6. Nos « données »

Dans ce document Excel, à télécharger ici, se trouvent les données issues de l’expérience.  Pour chaque mot proposé (juif, chrétien, musulman, athée), il y a un tableau listant les mots associés et le nombre de fois où ils sont apparus ainsi qu’une représentation graphique représentant ces résultats par anamorphose.

7. Nos analyses
  • Le stéréotype a été défini lors des discussions collectives comme n’étant pas issu d’une connaissance de la réalité, d’une description de quelque chose de connu, parce qu’on l’a observé ou expérimenté soi-même, parce que l’on a des preuves, ou parce qu’on l’a appris de source sûre (en premier lieu, les connaissances transmises par l’école ou par des reportages) mais comme quelque chose que l’on pense sans que l’on dispose de connaissances. L’analyse du mot « européen » associé à « chrétien » a permis de commencer à établir cette définition. Apparaissant comme quelque chose de connue, cette association a ensuite été considérée par certains élèves comme un stéréotype car ils se sont rendus compte qu’ils connaissaient des chrétiens qui étaient africains et qu’ils avaient appris par les informations qu’il y avait des Arabes chrétiens en Syrie. Des discussions similaires ont eu lieu pour l’association « arabe » et « musulman » notamment, ou pour « chicha » et musulman » : tous les musulmans ne fument pas la chicha, tous les Arabes non plus et bien d’autres personnes fument la chicha… Une recherche sur l’origine du mot nous a appris que le mot « chicha », de même que celui de « narguilé » venait de Perse (d’Iran), le mot « hooka » utilisé en anglais venait lui de l’Inde.
  • La définition de « stéréotype » a donc nécessité de creuser celle de « connaissance ». Qu’est-ce-qu’une connaissance, une connaissance solide et bien établie ? L’association du mot « français » à « chrétien » a fait travailler la classe à cette question. Ainsi un élève a affirmé que cette association n’était pas un stéréotype car la majorité des Français étaient chrétiens. La question s’est posée de la « source » qui lui permet de dire qu’il s’agit là d’une connaissance. Cela a été l’occasion de revenir sur le fait que l’Etat ne dispose pas de ces informations car il n’a pas le droit de recueillir des données sur la croyance des habitants. Interrogé sur la raison de cette interrogation, un élève affirme  que cela peut être dangereux si « l’Etat devient terroriste » et une élève donne l’exemple de la Seconde Guerre mondiale : l’Etat savait qui était juif. Certains sondages existent toutefois qui se fondent sur la déclaration : une personne affirme qu’elle « est cela » ou qu’elle « est plutôt cela » ou qu’elle « se considère cela », ou des chercheurs posent des questions portant non sur ce que l’on déclare être, mais sur ce que l’on déclare pratiquer : « allez-vous à l’église une fois par an au moins ? »La manière de poser la question influe sur la réponse et les résultats des sondages sont donc assez différents. Donc difficile d’affirmer qu’il y a une majorité de chrétiens en France, pas de connaissances sur ce sujet. Par contre, que dans l’histoire de France, la majorité de la population était chrétienne, c’est une connaissance.
  • Toute chose que l’on pense connaître en l’ayant observée ne fournit pas de connaissance, car on observe également à partir de nos stéréotypes. Pour bien observer et pouvoir connaître, il faut donc d’abord s’être défait des stéréotypes. Lors de la discussion sur l’association des mots « Vincennes » et « Saint Mandé » au mot « juif », certains élèves ont affirmé qu’il y avait plus de juifs dans ces villes qu’à Paris. Des élèves ont évoqué l’absence de données chiffrées exactes suscitant la réaction suivante « Mais ça se voit  ! » La discussion s’est poursuivie sur la question de savoir s’il s’agissait de quelque chose que l’on pouvait « observer ». Un élève a estimé que c’était le cas car « les hommes juifs portent la kippa et les femmes la perruque ». D’autres ont avancé que ce n’est pas le cas de tous les juifs. Un élève a dit qu’on reconnaît les juifs par leur physique.  D’autres ont dit que les juifs ne viennent pas tous du même endroit et qu’ils ne se ressemblent donc pas tous, qu’ils peuvent ressembler à des personnes venant du même endroit, par exemple, du Maroc. Certains ont dit que l’on peut parfois deviner par les caractéristiques physiques d’une personne d’où elle vient (par exemple, d’Asie ou d’Afrique noire) ou à quel groupe ethnique elle appartient (arabe ou berbère) mais que l’on peut de toute façon toujours se tromper.
  • Un élève a proposé l’hypothèse suivante : le stéréotype vient du fait que l’on a besoin d’avoir des repères, de mettre des étiquettes.
  • Une élève a proposé la précision suivante : il y a des stéréotypes qui consistent à dire « tous les juifs sont… » ou « tous les athées sont… » etc. Ainsi la généralisation relève du stéréotype : « les musulmans mangent halal ».
  • Certains stéréotypes sont porteurs d’un caractère insultant, voire violent. Par exemple, le mot « porc » est associé au mot « chrétien ». Pour certains musulmans, le fait de consommer du porc « marque la différence  des chrétiens » dont la religion ne prescrit pas de ne pas se nourrir de porc. Mais cette association relève aussi de l’insulte puisque l’ « on traite les policiers de porcs », de l’insulte « raciste », on précise qu’il s’agit d’une insulte précisément liée à la religion et non à « la race » : « le porc est sale, impur, satanique, donc les chrétiens aussi et qu’ils vont en enfer. »
  • Un stéréotype positif sur un groupe peut traduire un stéréotype négatif  sur d’autres groupes ou une méconnaissance des autres groupes. Le mot « libre » associé au mot « athée » a d’abord été considéré par certains élèves comme ne relevant pas du stéréotype. Puis une élève a pris la parole pour dire que cette association peut impliquer que les personnes qui ne sont pas athées ne sont pas libres, alors qu’elles ont choisi librement de pratiquer leur religion. Son intervention soulève une discussion sur le cas des enfants et des jeunes qui n’ont pas « choisi ». La jeune fille a alors insisté sur le fait qu’en France, les adultes peuvent choisir, défendant sa première affirmation : il s’agit d’un stéréotype. Une discussion similaire a lieu sur l’association de « vente de gâteaux » au mot « chrétien ». Il s’agit d’un stéréotype positif sur les chrétiens, puisqu’associé à l’action charitable. IL a été remarqué que ce type d’actions charitables est entrepris en France non pas uniquement par des chrétiens, mais par des personnes d’autres religions, juives et musulmanes, notamment, mais aussi par des personnes non religieuses. Ce stéréotype traduit une absence de conscience voire une ignorance des actions de solidarité de ces personnes.
  • Certains mots sont employés « de manière stéréotypée », sans que l’on réfléchisse à leur signification ou à leur connotation. Par exemple, le mot « mécréant » a été associé à « athée ». Certains élèves étaient conscients du fait que les deux mots ne signifient pas la même chose sans pouvoir d’emblée clarifier les choses, d’autres non, d’autres avaient conscience de la dimension polémique du mot. L’animatrice a posé la question suivante : « demanderait-on à quelqu’un s’il croit en dieu ou s’il est mécréant ? » En recherchant collectivement l’étymologie des deux mots, les élèves ont pu formuler qu’ « athée » était neutre tandis que « mécréant » venait de « mal croire » et impliquait donc un jugement négatif. C’est pourquoi ce terme est utilisé dans des contextes de mépris ou de violence. Il n’est pas neutre. Des chrétiens l’ont utilisé pour désigner les musulmans, notamment pendant les croisades, des musulmans l’utilisent aujourd’hui pour désigner les non-musulmans.
  • Les stéréotypes peuvent avoir des conséquences graves. Ainsi Ilan Halimi a été tué en 2005 parce que ces agresseurs avaient en tête le stéréotype selon lequel les juifs sont riches et s’entraident, ils pensaient donc obtenir une rançon de la famille ou de l’ensemble des juifs de France.