Les acoustiques et le groupe Indochine, ou le concert des identités

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Septembre 2019, Les acoustiques et le groupe Indochine, ou le concert des identités »- Sophie Gouriou, service civique ENQUÊTE.

Mardi après-midi, je retrouve Corentin, animateur d’ENQUÊTE dans une école parisienne pour assister à son atelier. Dans l’établissement, nous sommes accueillis par les animateurs et le responsable éducatif ville (REV pour les intimes). Puis je fais la connaissance des quinze enfants présents. Nous montons en classe ; déjà dans les escaliers, les enfants commentent l’activité de la semaine dernière : « Tu crois que je peux refaire ma blague sur les Chinois ? », demande Etienne à Said. « Euh… Quelle blague ? – Bah les Chinois, c’est des gens en Chine, qui se noient ! ».

Un « a-quelque-chose »

Tout le monde s’assoit tranquillement dans la classe, déjà disposée en petit ilot de trois tables. Idéal pour jouer en équipe ! Corentin prend le temps de résumer avec les enfants le jeu de la semaine dernière, où à côté de la carte « juif », « musulman » « européen » ou « indonésien », l’équipe d’Etienne et Said avait eu pour mission de définir le mot « chinois ». « Est-ce que vous vous souvenez de la définition de tous les mots sur les cartes du jeu ? » « Ouiiiiiii », répond le groupe en chœur.  « Vraiment, même les mots compliqués ? – Ouais, même que j’ai appris qu’athée ça voulait dire qu’on croit pas en dieu », raconte Jérémy. « Mais par contre, y avait un autre mot en « a » quelque chose, mais je me souviens plus », rapporte Mélodie. « Tu penses sûrement à agnostique… », commence Corentin, avant d’être coupé par Jérémy : « Ah oui, les gens qui disent qu’on connait pas dieu, comme pour les secrets ! ». Corentin précise : « C’est bien en rapport avec la connaissance Jérémy. C’est un mot qui désigne les personnes qui disent ne pas savoir si dieu existe ou non et qui ne se prononcent pas sur la question. Mais nous allons pouvoir revoir un peu tout cela aujourd’hui. Parce que pour notre jeu du jour, nous allons utiliser les mêmes cartes. Cette fois au lieu d’une seule carte, on va faire des mélanges. Le but du jeu, c’est de savoir s’il est possible d’utiliser seulement un seul ou plusieurs de ces termes pour parler d’une même personne. ».

« C’est quoi la religion chinou ? »

Corentin tire une première carte, « chinois », pour le plus grand bonheur d’Etienne qui rit de bon cœur et répète la blague de l’escalier. Corentin ajoute ensuite la carte « français » et interroge les enfants : « Est-ce qu’on peut être chinois et français en même temps ? ».  Abdel n’hésite pas un instant : « Bah oui, on peut être une moitié de chaque ! – Bah non, s’exclame Etienne, tu peux pas avoir les deux passeports ! – Tu es sûr de toi là ? s’étonne Antoine. – Eh bah pourquoi moi je peux avoir le passeport argentin et français ? réplique Luca ». Corentin explique alors qu’il est possible d’avoir plusieurs passeports et donc plusieurs nationalités, mais que cela n’est pas possible dans tous les pays. Tous les pays n’autorisent pas la double nationalité Par exemple, en Chine il est écrit dans la loi que si on veut utiliser un passeport d’une autre nationalité, on n’a plus le droit d’avoir le passeport chinois, ni les droits qui vont avec la nationalité chinoise.

Corentin change alors la carte « français » et propose la combinaison « chinois + chrétien ». « Est-ce qu’on peut être chinois et chrétien ? ». « Oui c’est possible », s’écrie Luca. Tout le monde acquiesce. Corentin ajoute : « Est-ce que les chinois sont forcément d’une religion en particulier ? Vous connaissez d’autres religions que pourrait avoir un Chinois ? ». Les enfants entament alors avec beaucoup de sérieux cette petite enquête : « Bah orthodoxe par exemple, propose Etienne. – Mais non ça c’est en Grèce, s’agace Said – Mais on peut pas du tout en trouver ? -Ah bah si je crois. –  Et puis les orthodoxes, c’est des chrétiens de toute façon, rajoute Antoine ». Kyllian entre dans la danse : « Les Chinois ils sont hindous ou chinou ! – Mais c’est quoi ça hindou chinou ? s’étonne Etienne. – Ils parlent peut-être des gens qui vivent en Indochine, tente Elena ». Jérémy s’exclame : « Mais ça existe plus ça ! ». « Mais si, Indochine c’est un vieux groupe de musique, ça existe encore », rétorque fièrement Gaston, qui écoute vraisemblablement ce groupe « d’un autre âge » avec ses parents. Etienne recentre le débat : « Mais du coup c’est quoi la religion chinou chose ? ». Les enfants comprennent alors que ce mot n’existe pas, mais surtout qu’il existe des Chinois avec des convictions très différentes ; bouddhistes, athées, taoïstes, chrétiens, musulmans… « Et même agnostique ! » dit fièrement Mélodie.

Acoustique et péninsule arabique

Ça tombe bien, c’est le mot de la carte suivante.  « Agnostique » est associé à « arabe ». Gaston est sûr de lui : « Mais tu peux pas être acoustique et arabe ! ». « C’est un autre vieux groupe de musique aussi les acoustiques ? » s’amuse l’animateur. « Regarde, agnostique ça s’écrit comme ça, dit-il tout en l’inscrivant au tableau. C’est un mot qui vient de la même racine que diagnostic par exemple. Gnose, c’est un mot venant du grec pour dire connaissance, comme on l’a vu avec Jérémy tout à l’heure. Mais reprenons, ce sont qui les Arabes ? ». Luca propose une définition : « C’est ceux qui parlent arabe, en Arabie ». Corentin l’interroge : « Il y a seulement des Arabes en Arabie Saoudite ?  –  Ah bah non, il y a d’autres pays où on parle arabe ! Mais sauf en Egypte, on parle égyptien là-bas. Au Maghreb aussi… et en France ! ». Etienne intervient : « Et puis il y a le pays où on habite, mais aussi l’origine de nos parents. ».

Sautant sur l’occasion de l’introduction du terme origine, Corentin change l’actuelle combinaison pour « arabe + africain ». Cela ravit Kyllian : « Mais oui, c’est logique en plus, l’Arabie saoudite c’est en Afrique – Mais non, c’est en Asie – Ni l’un ni l’autre, c’est entre les deux, au Moyen Orient ».  « Bon… Mais on peut toujours ! – Oui, si on est né en Afrique et qu’on vit en Arabie ». Corentin fait alors un point historique. « Arabe, ce n’est pas une nationalité, ni même une religion. A l’origine les arabes étaient un groupe de personne qui vivaient dans une partie du monde qu’on nomme la péninsule arabique ». Il la montre sur le globe terrestre de la classe. « Mais au VIIème siècle, ce peuple est parti conquérir d’autres régions du monde, comme le nord de l’Afrique, mais aussi à l’est, vers l’Inde et la Chine. »

« Ils sont pas laïques eux »

La combinaison « israélien + arabe » est vite tranchée d’un « Oui pas de problème » de Said. Puis le groupe passe à « juif + israélien ». Etienne prend la parole : « Juif, c’est une religion. Et même si c’est la religion d’origine des gens du pays, ça veut pas dire qu’on peut pas être autre chose ». Corentin le félicite : « Bravo, tu as raison ! Aujourd’hui beaucoup d’Israéliens sont juifs, mais pas tous, il y a aussi des musulmans par exemple, dont certains habitent là depuis très longtemps. ».

Finalement, Corentin sort la carte « chrétien », ce qui rend fébrile le duo Antoine-Lucas : « Eh les gars, c’est chrétien… ». Corentin l’associe à… « juif » ! Said n’hésite pas une seconde : « Ah bah non, ça existe pas ça les gens avec deux religions, c’est pas possible ! – Eh bah si ta maman elle est juive, et ton papa chrétien, et que toi tu sais pas choisir, en attendant tu peux être les deux, lui déclare Abdel ». Corentin intervient : « En général, c’est vrai que qu’on croit plutôt à l’un ou à l’autre. C’est même important pour certains croyants de choisir. Mais en France, comme on a le droit de croire ce que l’on veut, personne ne vous l’interdit. Mais ça c’est en France. Est-ce que vous pensez que c’est possible partout ? Par exemple dans les pays dont on a parlé, comme la Chine et l’Arabie saoudite ? ». Face au silence des garçons, la timide Elena ose prendre la parole : « Je crois que non, ils sont pas laïques eux. – Exactement ! En France, il y a quelque chose qui s’appelle la laïcité ! C’est un mot que vous connaissez, non ? ».

Les règles de la laïcité… et des petits enquêteurs

Les réponses fusent : « Oui, c’est le nom de l’atelier – Ah bah c’est trop bien du coup, ça veut dire que la laïcité c’est le droit de faire des enquêtes et de se poser plein de questions. ». Corentin est amusé par les propositions des petits enquêteurs : « Pas tout à fait, vous en pensez quoi les autres ? ». Etienne reprend la parole : « Moi je pense que c’est plutôt qu’on doit pas faire la différence avec les gens quand on leur parle. Qu’on accepte tout le monde ici quoi. – Tu as raison, en France, on a le droit de croire ou de ne pas croire. Ça s’appelle la liberté de conscience, de penser ce qu’on veut dans sa tête, et de le dire si on veut. On a aussi la liberté de culte, d’aller prier avec d’autres, de pratiquer si on veut ou pas. On a le droit d’être musulman, hindouiste, juif, chrétien, agnostique, et on peut pas vous punir pour ça. ». Kyllian est perplexe : « Humm, mais si un hindouiste, il fait un meurtre ? ». Son copain Gaston lui répond tout naturellement : « Bah, il va en prison, ça n’a rien avoir avec sa religion ça ! ». Luca a aussi l’air préoccupé : « Et du coup si on peut choisir, ma maman elle a le droit de changer de religion ? ». Corentin lui sourit : « Eh bien oui, pourquoi pas ! – Ahhhh, mais c’est pour ça alors. Parce qu’avant elle croyait en Jésus, et maintenant non. ». L’animateur conclut : « Tout à fait ! C’est super, on a bien avancé tous ensemble aujourd’hui. La semaine prochaine, on commence à fabriquer votre jeu ».