L’adieu aux morts chez les bouddhistes

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Qui sommes-nous ?

8 élèves du collège parisien Boris Vian (17ème arrondissement). Mattéo, Enzo, Florence, Jaysee et Nicolae sont en cinquième . Alef, Maxime et Willy sont en quatrième.

Collège Boris Vian, Paris 17e

Collège Boris Vian, Paris 17e

Contexte

L’atelier a été organisé dans le cadre de l’Action collégien pris en charge par Aurélie Gaulon. Suite à un arrêt maladie de celle-ci, c’est Annabelle Takam, professeur-documentaliste, qui nous a accueilli dans le CDI pour toutes les séances suivantes. L’atelier s’est tenu pendant une douzaine de séances, entre les mois de mars et de juin.

Notre recherche
1. Nos questions de départ

Lors des premières séances, des discussions ont été lancées à partir de petits jeux pour encourager les jeunes à faire part des questions qui les intéressaient. Les thématiques qui ont été soulevées à cette occasion ont été les suivantes (par ordre chronologiques) : – Guerre en Syrie – Pourquoi on fait une chose et pas une autre ? (question des règles, de la norme) – Pourquoi le calendrier n’est pas mélangé (n’intègre pas les différentes traditions religieuses) ? –  Pourquoi on a du mal à accepter« l’Autre » (c’est-à-dire celui qui fait/croit des choses différentes de nous) ? Pourquoi ça fait des guerres quand certains n’acceptent pas « l’Autre » ? – Pourquoi le judaïsme c’est différent du christianisme ? – Est-ce qu’il y a des recettes de cuisine religieuses ? Pourquoi on mange des aliments spécifiques lors de certaines fêtes religieuses ? – Sur quoi se base le bouddhisme ? – La place de la femme en religion – Le paradis et la relation Ciel-Terre – Pourquoi on met des gens dans une barque avec des feuillages et on les incinère ? – Pourquoi il y a une purification chez les musulmans avant la prière ? – Y a-t-il des temples bouddhistes à Paris ?

2. La question que nous avons choisie

A partir de ces premières réflexions, nous avons identifié trois sujets qui pourraient plaire à tous : – Nourriture et recettes culinaires dans les traditions religieuses – Les temples bouddhistes à Paris : les objets utilisés pour le culte – L’adieu aux morts : les différents rituels funéraires   Après avoir voté, c’est le troisième sujet qui a été choisi. Nous l’avons croisé avec le deuxième sujet, et avons décider de nous questionner sur les rituels de mort, chez les bouddhistes en particulier.

3. Les questions… que cette question pose !
  • Pourquoi est-ce qu’il y a différentes manières de traiter les corps des morts ? Pourquoi certaines personnes brûlent les morts au lieu de les enterrer ? Combien de manières de traiter les corps des morts existe-t-il ?
  • Qu’est-ce que ça signifie pour les bouddhistes de brûler les morts ? Qu’est-ce que les bouddhistes croient qu’il se passe quand on est mort ?
  • Qu’est-ce que c’est un rituel ? Est-ce qu’il y a un rapport entre ce qu’on croit et ce qu’on fait ?
4. Nos prédécesseurs (état de l’art)

– L‘étude des rites funéraires a été prise en charge depuis très longtemps par l’anthropologie et l’ethnologie : une littérature scientifique très vaste sur ce domaine est donc disponible. L’abondance des études dans ce domaine tient au fait que toutes les sociétés que nous connaissons, grâce à l’histoire et à l’ethnographie, pratiquent des rituels pour accompagner la mort de leurs membres.  Les seuls occasions dans lesquelles on a constaté l’absence de toute ritualisation face à la mort d’humains correspondent à des périodes que l’on considère comme inhumaines, comme les guerres ou les exterminations.

– Il existe, selon Jean-Pierre Albert, deux approches pour étudier les rituels funéraires. La première cherche à comprendre les pratiques en référence à « la mort », en se demandant quelle signification celle-ci a dans telle ou telle société  ; alors que la seconde, développée par les anthropologues Tylor et Frazer notamment,  s’intéresse plutôt « aux morts », c’est-à-dire aux croyances dont il font l’objet et les rapports entre les rituels funéraires qui leur sont réservés et les représentations sur ce qui se passe qu’on soit mort. C’est dans cette deuxième veine que s’inscrit le questionnement qui nous avons pris en charge lors de cet atelier.

Référence : Jean-Pierre Albert, « Les rites funéraires. Approches anthropologiques », Les cahiers de la faculté de théologie, 1999, pp.141-152.

– En ce qui concerne les pratiques de crémation, qui intriguaient plus particulièrement les élèves, nous avons aussi réfléchi à partir des analyses de Jean-Pierre Vernant, historien et spécialiste de la Grèce antique et des mythes. Il montre, dans plusieurs de ses écrits, que la pratique qui consiste à brûler les morts n’est pas anodine, mais correspond au contraire à une idéologie, nourrie par des croyances et par des mythes. D’après lui, l’idéologie funéraire ne vient pas faire écho à la société des vivants, mais est bien plus centrale pour la stabilité de la société : elle rend compte d’une véritable politique de la mort, qui légitime le fonctionnement de la société toute entière.  Il oppose ainsi la crémation grecque à l’indienne et aux pratiques de sépulture qui ont cours dans la civilisation mésopotamienne. La première n’est accordée qu’aux personnages exceptionnels de la Grèce antique. Elle consiste à brûler le corps pour ne garder que les os, purifiés par la flamme de toute élément corruptible, qui deviennent donc la trace pérenne du défunt, et qui, enterrés et surmontés d’un tumulus et d’une pierre ou d’un poteau, inscrivent la présence de celui-ci jusque dans la surface du sol, de manière à la signaler en permanence aux vivants. Ils demeurent alors à jamais vivants dans la mémoire collective. C’est donc leur gloire impérissable qui est construite et signifiée dans ce traitement de leur dépouille. Chez les Mésopotamiens, on procède au contraire à une inhumation, qui permet la sauvegarde de l’intégrité du corps. La tombe devient alors la demeure éternelle du mort, et exprime la continuité entre le monde des vivants et celui des morts. Ainsi, le défunt conserve son statut social dans la mort, et en se rappelant sans cesse aux vivants, il permet de légitimer le système social en place. A l’inverse, la crémation indienne consiste à faire disparaître le corps entièrement, de manière à ce qu’il ne reste plus aucune trace physique du défunt sur Terre. Cette démarche entre en cohérence avec la pensée et les croyances indiennes, selon lesquelles il est nécessaire d’éliminer toutes les attaches à la vie terrestre que le mort pouvait avoir, de manière à restituer l’individu à « l’espace sans limite » qu’il doit rejoindre.

Référence : Gherardo Gnoli et Jean-Pierre Vernant (sous la dir.), La mort, les morts dans les sociétés anciennes, 1995, Maison des Sciences de l’Homme, Paris (introduction) ; Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières, 2004, Le Seuil, Paris.

5. Notre « protocole de recherche »

Dans un premier temps, nous avons consulté diverses sources pour que les jeunes puissent découvrir des manières très diverses de traiter le corps des morts dans les différentes civilisations. Ainsi, des articles journalistiques émaillés de photographies ainsi que des reportages vidéos ont été principalement mobilisés. Une fois le thème de recherche délimité, nous avons procédé à une tentative de définition de termes qui nous semblaient importants, tels que : « rituel », « mort », « crémation », « sépulture » et « nirvana ». A partir de ces premiers éléments, chaque jeune a produit trois questions, en vue de les poser à un chercheur spécialiste des faits religieux, notamment du bouddhisme, qui devait intervenir dans une séance ultérieure : cette entrevue devait aboutir à la réalisation d’une émission sonore. Certaines de ces questions se recoupant, les élèves ont procédé à l’aide de l’animatrice à un tri et à une reformulation des questions, afin que celles-ci s’enchaînent logiquement. Enfin, les questions ont été classées en trois grandes rubriques :

1. Questions générales sur le bouddhisme :

  • Tous les bouddhistes croient-ils à la même chose ?
  • Quel est l’objectif à atteindre dans la vie d’après la religion bouddhiste ? Qu’est-ce une personne doit accomplir et que cherche-t-elle à atteindre ?
  • Qu’est-ce que c’est le nirvana ?

2. Questions sur le rapport à la mort dans le bouddhisme :

  • Est-ce qu’il y a plusieurs manières de se séparer du corps des morts dans la religion bouddhiste ? Si oui, quelles sont-elles ? Et pourquoi ils ont des pratiques différentes alors qu’ils croient à peu près à la même chose ?
  • Comment les différentes pratiques sont-elles comprises par les différentes communautés bouddhistes ?

3. Questions générales sur le rapport à la mort dans les religions :

  • Qu’est-ce que ça signifie de brûler les corps des morts plutôt que de les enterrer ?
  • Pourquoi dans certaines religions il est interdit de brûler le corps des morts, alors que dans d’autres c’est autorisé ?

Ces questions ont par la suite été adressées à Eric Vinson, docteur en Sciences politiques, spécialiste des faits religieux, du spirituel et de la laïcité et membre du Groupe de Recherche sur le Bouddhisme Contemporain de l’Institut de Sciences et de Théologie des Religions, à l’occasion d’un entretien enregistré.

6. Nos « données »

Cet atelier a abouti à la réalisation d’une émission sonore, sur le modèle des émissions de radio culturelles. Deux versions sont disponibles :

document-rouge2 Pour mieux se repérer dans la version longue, vous pouvez vous référer au document ci-contre, qui retrace le plan de l’émission en proposant un découpage indiquant les « time codes ».   L’émission a également est publiée sur le site du collège Boris Vian ; elle est à consulter ici.

7. Nos analyses

Les conclusions des élèves sont présentes à la fin de l’émission radio. A l’issue de l’atelier, ils sont revenus sur leurs a priori, et sur la manière dont le travail mené ensemble avait permis de leur faire entrevoir la nature bien plus diverse et variée non seulement des modes de sépultures et des rituels les accompagnant, mais aussi de la religion bouddhiste elle-même. Ils ont également établi des ponts entre les idéologies religieuses du bouddhisme et du christianisme. Enfin, ils se sont posés des questions nouvelles, relatives à l’acceptation de tel ou tel mode de sépulture en France, en lien avec l’héritage religieux de notre pays.

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