NEUTRALITÉ ET POSITIONNEMENT PÉDAGOGIQUE

LA NEUTRALITÉ COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE

Au-delà de l’obligation professionnelle qu’elle constitue pour de nombreux acteurs éducatifs, la neutralité de l’adulte répond à un objectif pédagogique. Bien plus que d’avoir des connaissances poussées sur les faits religieux, ce qui est utile pour éduquer les jeunes (enfants ou adolescents) à la laïcité est d’adopter un positionnement neutre dans la manière de parler de ces questions : c’est ce qui permet de poser un cadre serein dans lequel les jeunes se sentent en confiance, libres d’échanger sur des sujets qui souvent les passionnent et dont ils ont rarement l’occasion de parler.

De sa propre initiative ou questionné par les jeunes, l’adulte ne fait pas part de sa conviction, qu’elle soit religieuse, athée ou agnostique. L’enjeu pédagogique de cette neutralité est de de faire ressortir la liberté de conscience des jeunes et la diversité de convictions existant dans la société. La neutralité de l’adulte permet de dessiner un espace dans lequel il n’est pas pris à parti : le jeune pourra exprimer librement ses pensées sans avoir peur du jugement de l’adulte qui aurait une conviction différente de la sienne, et, à l’inverse, sans présupposer une connivence avec l’adulte qui aurait une conviction similaire à la sienne.

De plus, lorsqu’elle est expliquée aux jeunes, la neutralité permet une compréhension concrète de ce qu’est la laïcité :

  • Elle permet de renvoyer les jeunes à leur propre liberté de conscience : « Ce qui est intéressant pour toi, ce n’est pas ce que JE pense, mais ce que TOI tu penses, ce que chacun des enfants du groupe pense ». L’adulte pourra dire aux jeunes que connaître la conviction des adultes encadrants ne leur apporte rien car ce qui importe, c’est que les jeunes forgent leurs propres convictions. Le rôle de l’adulte consiste à faire apparaître la diversité d’opinions existant dans la société et de travailler à l’expression apaisée de cette diversité parmi les jeunes, chacun respectant la liberté de conscience des autres. Les enfants ou les jeunes n’ont pas à dire à d’autres ce qu’ils devraient croire ou faire.
  • Elle permet de rappeler qu’en la matière, seuls les parents ont le droit d’influencer leurs enfants. L’adulte n’indique pas sa conviction, car le fait même de la mentionner constitue une influence, du fait qu’il a une relation particulière avec les
  • La neutralité de l’adulte permet de montrer qu’il est possible de parler du religieux en passant par les connaissances: nul besoin d’être de telle ou telle conviction pour en parler. Les convictions sont un objet de connaissance.
  • Si les jeunes tentent de deviner la conviction de l’adulte, cela permet de poser la question suivante : est-il possible de deviner la conviction de quelqu’un par son physique ou son nom ?Même en connaissant de nombreux éléments biographiques sur une personne, elle seule peut informer sur sa conviction, car la laïcité, et précisément la liberté de conscience, garantit le droit de pouvoir en changer.

LA NEUTRALITÉ EN ACTION

Au-delà de ne pas témoigner de sa conviction, être neutre implique pour l’adulte de parler de manière neutre des faits religieux. Mais comment parler de manière neutre de ces questions ? Qu’est-ce que la neutralité implique concrètement, dans le discours de l’adulte, lorsqu’il traite des faits religieux avec des jeunes ?

Pour demeurer neutre, l’adulte doit toujours garder à l’esprit deux objectifs majeurs de l’éducation à la laïcité par l’abord des faits religieux, et leur donner corps par une pédagogie du questionnement. Ces deux objectifs sont :

  • la distinction entre savoir et croire,
  • la mise en avant de la pluralité des convictions et de leur diversité interne.

L’utilisation systématique du questionnement en lien avec ces deux enjeux permet à l’adulte d’asseoir un positionnement cohérent et de déployer une pédagogie efficace. On peut identifier trois « réflexes » pédagogiques pour mettre aisément en œuvre cette neutralité active :

1. Questionner les jeunes

Lors de l’évocation des faits religieux et de la laïcité avec les jeunes, le réflexe du questionnement permet l’émergence d’un débat apaisé et réfléchi. Il s’agit de faire parler les jeunes pour leur faire préciser leurs propos : « Ah bon, qu’est-ce qui te fait penser cela ? Êtes-vous certains que tous les Arabes sont musulmans ? Es-tu sûr que tous les juifs portent une kippa ? Est-ce que vous connaissez ou avez entendu parler de personnes qui font différemment ? », etc. De cette manière, les jeunes sont encouragés à adopter une attitude réflexive sur leurs a priori, et à laisser de côté les jugements de valeur pour s’intéresser aux faits (dans leur réalité diverse), ce qui permet de désamorcer d’emblée les éventuelles tensions.

Certaines questions d’enfants n’appellent pas de réponse de l’adulte, car elles relèvent de sa neutralité, par exemple : « est-ce qu’il y a une vie après la mort ? ». L’adulte renvoie la question aux jeunes en vue de faire apparaître les diverses opinions que l’on peut avoir à ce sujet : « Qu’en pensez-vous ? Est-ce que tout le monde pense la même chose à ce sujet ? Quelles sont les diverses opinions qui existent à ce sujet ? ». Il peut apporter lui-même des connaissances sur la diversité d’opinions existante : « Certains croient à la vie après la mort, d’autres non, certains à la réincarnation, d’autres non, etc. ».

2. Faire la distinction entre savoirs et croyances

Il y a des choses que l’on peut savoir. Il s’agit des choses que l’on peut vérifier : celles que tout un chacun peut observer par ses cinq sens ou celles qu’une démarche scientifique permet de vérifier. L’existence d’un dieu, de plusieurs dieux ou d’aucun dieu, l’existence d’une âme, des esprits, d’une vie après la mort, du paradis ou de l’enfer, de la réincarnation, etc. ne sont pas des choses que tout un chacun peut observer par ses sens, ni qu’une démarche scientifique nous permettrait de vérifier. Il y a donc à leur sujet des croyances, des convictions, différentes selon les personnes, chacun est libre de se faire sa propre opinion, chacun a sa liberté de conscience.

Il s’agit donc de mentionner, dans le vocabulaire employé, que l’on parle de croyances quand c’est le cas. Il s’agit, par exemple, de reformuler certaines expressions couramment employées, parfois utilisées par les jeunes eux-mêmes, et qui expriment des croyances : ce sont des expressions « internes » à telle ou telle conviction religieuse. Par exemple, si les enfants parlent de « Jésus-Christ, celui qui est ressuscité », il s’agira de reformuler ce propos afin d’énoncer une connaissance sur une croyance : « Pour les chrétiens, Jésus est le Christ, c’est-à-dire qu’ils croient qu’il est un sauveur et qu’il est ressuscité ». De la même manière, si des jeunes parlent « du Prophète », il s’agira de reformuler la croyance exprimée en une connaissance sur une croyance : « Pour les musulmans, Mohammed est un prophète très important, c’est-à-dire qu’ils croient qu’il a reçu le dernier message de Dieu” ; etc. De la même manière, il s’agit de conduire les jeunes à constamment situer leur propos : passer de la formulation d’affirmation « Jésus est ressuscité » ou faisant appel à un « nous » : « pour nous, prier c’est obligatoire » à des propos énonçant des convictions personnelles : « je crois que… », « dans ma famille, on… », ou à des propos énonçant des connaissances : « il y a des juifs qui… », etc.

3. Faire apparaître la pluralité des convictions existantes, et la diversité propre à chacune

Il s’agit de mettre en avant, de manière descriptive :

  • la multiplicité des convictions existantes, religieuses, athées, agnostiques: il existe des croyances différentes au sujet de l’existence ou de l’inexistence d’un ou plusieurs dieux.
  • la diversité au sein d’une même religion ou conviction : il existe plusieurs branches dans chaque religion(par exemple, catholiques, protestants et orthodoxes dans le christianisme, sunnites et chiites en islam) et de manière plus générale, il existe plusieurs manières d’être chrétien / juif / musulman / athée / etc. : on peut être croyant et pratiquer de telle ou telle manière, ou ne pas pratiquer, etc.

On peut partir des propos des jeunes pour faire apparaître cette diversité. Toutefois, la diversité apparaît avant tout par la transmission des connaissances. L’important est que les jeunes intègrent que chaque personne a le droit d’investir le champ religieux à sa manière. Il s’agit aussi de déconstruire certains stéréotypes, notamment en distinguant la citoyenneté (ou nationalité en France) et la culture, de la conviction, religieuse, athée ou agnostique (par exemple, tous les Arabes ne sont pas musulmans, tous les juifs ne sont pas Israéliens, et réciproquement).

Si les jeunes peuvent faire part de leurs croyances, ils ne sont pas des « experts » de leur propre conviction. S’il les laisse s’exprimer, l’adulte veille à situer leurs propos comme des témoignages personnels ou familiaux, à replacer au sein d’une diversité de croyances et de pratiques.