Février 2018, « Et moi, je suis un Zébreu alors ? », Tasnime Pen Point, chargée d’étude, association ENQUÊTE

15h15. Lorsque sonne la cloche de la fin de la récré, Anton, Robinson, Taha, Lilia et Mohammed sont au rendez-vous pour monter en atelier avec leur animatrice, Lior. Dès qu’il l’aperçoit, Mohammed fonce vers elle : « Lior, j’ai apporté trois livres sur les mythologies et les religions ! Ils sont dans mon sac, tu veux que je les sorte ? » interroge-t-il, enthousiaste.

« C’est super ça ! » répond Lior. « Tu vas nous montrer, on va pouvoir s’en servir comme livres de référence si on a besoin de vérifier une information pendant la séance. »

En classe, elle annonce d’emblée la couleur : aujourd’hui, il y a deux surprises qui les attendent. Et la première n’est pas des moindres « on va regarder une vidéo ! »

Moshé, Moussa, Moïse, Salam et Shalom : plusieurs langues pour les mêmes mots ?

 

Pour commencer, Lior propose un jeu avec un triple pendu pour leur faire découvrir le thème de la séance ; Anton, Robinson et Taha jouent fièrement le rôle de scribes. Assez vite, Mohammed et Lilia trouvent ‘Moïse’ et ‘Moshé’, et enfin ‘Moussa’.

« Aucun de ces mots n’est français à l’origine », explique Lior. « ‘Moshé’, c’est de l’hébreu, ‘Moïse’ vient du grec, et ‘Moussa’, c’est en arabe. Mais ces trois prénoms désignent le même personnage, qui est un prophète important dans plusieurs religions ! Pourquoi est-ce qu’il y a trois langues, et trois prénoms, pour un même personnage, à votre avis ? ». Les enfants sont perplexes ; elle les aiguille un peu. « Est-ce qu’il n’y a pas des livres religieux qui sont écrits dans ces langues justement ? » « Le Coran, c’est écrit en arabe, non ? » chuchote Lilia. « Oui ! Et la Torah, en hébreu !!! » s’exclame Mohammed. « C’est ça », approuve Lior. « Et la Bible chrétienne, savez-vous en quelle langue elle avait été rédigée, il y a près de deux mille ans ? » « En français ! » hurle Robinson. « Eh bien en fait, c’était en grec », corrige Lior. « Donc, si on résume, à partir de ces indices, selon vous, Moïse est un prophète dans quelles religions ? » « Euh… Les juifs, les musulmans et les chrétiens ? » tente Anton, aidé par ses camarades. « C’est ça, le judaïsme, le christianisme et l’islam », précise Lior.

« En fait », réagit Mohammed, « ces noms, Moïse, Moussa, Moshé, c’est les mêmes mots mais dans des langues différentes… Comme ‘salam’ et ‘shalom’ ! En fait, ça veut tous les deux dire ‘la paix’…  J’avais lu un livre une fois », raconte-t-il pendant que Lior installe le matériel pour lancer la vidéo, « c’était l’histoire de deux petits loups. Y en a un qui s’appelle Salam, et l’autre Shalom. Le jour où le Grand Loup vient les voir pour leur dire de manger les trois petits cochons, eux ils disent : ‘non, on va pas les manger, notre religion nous l’interdit !’ ».

Moïse et la lanterne magique

« Avez-vous déjà entendu parler de la lanterne magique ou des ombres chinoises ? » interroge Lior. Devant les regards dubitatifs des enfants, elle explique « La vidéo que vous allez voir est faite un peu comme des ombres chinoises, mais ce sont des danseurs qui font les ombres en utilisant tout leur corps. Cette vidéo raconte la vie de Moïse, telle que présentée dans les textes religieux, et vous allez devoir essayer d’identifier à quel épisode renvoie chaque scène. »

Lior clique sur ‘play’ ; le silence s’installe, laissant place à la musique. Quand Moïse est chassé par Pharaon, la musique s’accélère et Taha se met à danser d’enthousiasme sur sa chaise.

Les enfants commentent au fur et à mesure : « C’est Cléopâtre ? » « Un chameau ! » « Lui c’est Moïse ! » « Oh, il l’a tapé !!! » « Ah ! Là, là, tu vois, c’est le buisson qui brûle !!! » « C’est là où Dieu il fait les catastrophes !! » « Là c’est là mer ! » « Mais qu’est-ce qu’ils font là ?! ». Lior interrompt la projection, et leur distribue neuf cartes sur lesquelles est résumé chacun des épisodes figurés dans la vidéo : un petit jeu de bingo adapté à la séance. Par équipes, les enfants prennent connaissance des cartes. Lior relance la vidéo, en marquant une pause après chaque épisode. A chaque fois, les équipes montrent la carte correspondant à la scène. Les enfants en profitent pour raconter des bribes de l’histoire de Moïse dont ils avaient déjà entendu parler : « La maman de Moïse elle savait que le roi il avait donné l’ordre de tuer tous les bébés, du coup elle l’a mis dans un berceau et elle l’a jeté sur le Nil ! Et c’est la fille du Pharaon qui l’a récupéré et comme ça elle l’a sauvé ! »« Oui, et d’ailleurs, c’est de là que vient le nom de Moïse : en hébreu, ça veut dire ‘sauvé des eaux’ », explique Lior.

Des esclaves Zébreux aux croyants

Les questions des enfants fusent ; Lior en saisit certaines au vol. « Mais pourquoi les Hébreux ils étaient des esclaves en Egypte ? » demande Lilia. La question est intéressante, mais porte-t-elle sur l’histoire des Hébreux ou sur le pourquoi de l’esclavage ? Lilia précise : « Pourquoi il y avait des esclaves qui devaient travailler pour les Egyptiens ? ». Grande question… Lior revient avec l’aide de Robinson et Mohammed sur le principe de l’esclavage, et insiste sur son inhumanité et son interdiction en France depuis plus de 150 ans.

« Mais Lior, c’est qui les Hébreux en fait ?? » veut savoir Anton. « Les Hébreux, ce sont les ancêtres de ceux qu’on appelle aujourd’hui les juifs » clarifie Lior. Taha réagit sur-le-champ : « Ah mais ça veut dire que je suis un Zébreu alors !?! »« Mais noooon, toi t’es musulmane ! » le corrige Robinson. « N’importe quoi, pas musulmane, c’est pas une fille » s’amuse Mohammed, « on dit musul-man ! ».

A la fin de la vidéo, Taha demande : « Mais comment on sait que Dieu il a vraiment parlé à Moïse avec le buisson ? Et qu’il lui a donné les tables de la loi ? » « Justement », répond Lior, « est-ce qu’on le ‘sait’ à votre avis ? » « Euh… » s’interrogent les enfants. Lior reprend : « Cette histoire est racontée depuis très longtemps, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé au juste, ni même si Moïse a vraiment existé et réalisé tous les miracles dont on parle dans cette histoire. Donc comme on ne le sait pas, on peut le croire ou ne pas le croire » « Les croyants, eux, ils le croient ! » résume Taha.

 

Des aliments bizarres pour le seder 

Lior fait ensuite le lien entre la fête de Pessah, très importante dans le judaïsme, et l’histoire de Moïse (re)découverte ensemble. Durant cette fête, se tient le repas de ‘seder’ qui signifie ‘l’ordre’ en hébreu, au cours duquel les juifs pratiquants mangent des aliments spécifiques, dans un certain ordre. « Et si on cherchait dans le livre que Mohammed a apporté quels sont ces aliments ? ». Les enfants se jettent sur l’ouvrage et trouvent rapidement la page consacrée à la description du seder. Ils s’étonnent « des tranches de pain tout plat », dont Lior explique qu’il s’agit de pain azyme ou retiennent à grand peine une moue de dégoût lorsqu’elle leur parle de l’eau salée qui rappelle, pour les juifs, les larmes versées par les Hébreux lorsqu’ils étaient esclaves.

« Bravo ! » félicite Lior. « Vous avez tous bien participé aujourd’hui ! Pour la peine, je vous dévoile enfin la deuxième surprise ». Les enfants, dévorés de curiosité, se penchent pour essayer de voir ce qu’elle extrait du gros sac qu’elle avait entreposé dans un recoin. Surprise ! Pour chaque enfant, une jolie petite boîte en plastique avec un couvercle de couleur, pour ranger les pions de leur jeu de l’oie. Les cinq se jettent dessus et négocient les boîtes en fonction de leurs couleurs favorites : ouf, la répartition s’achève juste au moment où la cloche retentit !