« Maman, demain, je retourne à la synagogue »

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Juin 14    « Maman, demain, je retourne à la synagogue » – Thomas Grossmann, animateur ENQUÊTE

Ce jeudi, au centre social rue de Charenton dans le 12ème arrondissement de Paris, les enfants qui suivent l’atelier ENQUÊTE entament le cycle de visites des lieux de cultes. L’idée est de leur présenter les lieux où viennent prier les croyants des trois religions monothéistes et de découvrir avec eux la vie de leur quartier.

« La kappa, le petit chapeau que porte les juifs »

En cette fin d’après-midi, les enfants arrivent au compte-goutte au centre social après une journée d’école bien remplie. Ils ne semblent pas se souvenir qu’ils vont visiter une synagogue. Thomas, l’animateur, interpelle Yani et Yanick « vous rappelez-vous ce qu’est une synagogue ? ». Les garçons semblent trop occupés à engloutir leur goûter pour lui répondre. Rayan passe la tête à travers la porte de la cuisine et lance « c’est le lieu où les juifs viennent prier », avant de demander s’ils vont visiter la même synagogue que l’année dernière. Saisissant l’occasion, Thomas en profite pour revoir certaines notions, qui, il l’espère, leur permettront de mieux comprendre ce que le rabbin leur expliquera dans quelques minutes.

Tout d’abord, il s’agit de vérifier à travers un jeu du pendu s’ils connaissent le nom la personne qui dirige les prières. « C’est un mot en six lettres, commençant par un « R » et finissant par un « N » et c’est le nom de l’équivalent du prêtre ou de l’imam, pour les juifs ». Les enfants trouvent le mot escompté d’un air hésitant en prononçant « rabine ». « Maintenant, savez vous dans quelle langue les juifs prient ? ». Et là, c’est la loterie. Toutes les langues sont proposées, avec une mention particulière pour l’allemand, car selon Boubakhar, « tous les juifs parlent allemand ». Toutes, sauf la bonne. A leur air étonné et déconcerté quand il leur explique que cette langue est l’hébreu, une petite voix intérieure dit à Thomas que la route va être longue. Reste à faire le tour des pratiques vestimentaires, notamment la plus visible. Thomas sort une kippa de sa poche et attend leurs remarques. Plusieurs enfants s’exclament en même temps « c’est le petit chapeau que portent les juifs », Rayan ajoute, fier de lui, « ça s’appelle une kappa ! ».

Il est 17h, les enfants sont au complet ; il est temps de rappeler les règles à respecter sur le chemin et durant la visite. Pas nécessaire, les enfants énonçant dans une certaine cacophonie chaque règle, telle une leçon parfaitement apprise. Reste à vérifier si elles sont comprises et surtout appliquées…

Un sujet sensible

Une fois à la synagogue, une école maternelle attenante attire l’attention de Sarah « Thomas, c’est ça l’école des juifs ? et le préau à côté, c’est la cour où ils jouent ? ». Il répond mais les mots de l’enfant l’interpellent, ils prennent une résonnance particulière. Mais peut-être l’emploi de ces termes ne traduit-il que ce qu’elle a observé : des enfants portant des « tsittsit » – des tresses façonnées au coin des vêtements-, des institutrices, une perruque ou un foulard, et des papa venus chercher leur enfant, la « kappa »… Le sujet est sensible….

Arrive le rabbin ; il invite les enfants à entrer dans la synagogue. Thomas les observe, amusé, levant et tournant la tête au fur et à mesure qu’ils avancent dans ce lieu inconnu et qu’ils découvrent mobilier et symboles qui ne leur sont pas familiers. Une fois les enfants assis sur les bancs, le rabbin debout devant le pupitre situé au milieu de la synagogue se présente, et pour mettre les enfants à l’aise, leur dit qu’il espère voir beaucoup de doigts se lever, car il adore les questions. Il leur explique que le mot synagogue se dit « Beth knesset » en hébreu, ce qui signifie maison de l’assemblée, qui est le lieu de recueillement et de prière pour les juifs. Puis, il leur demande s’ils voient des représentations de dieu dans la synagogue. Boubakar lève la main énergiquement « c’est comme à la mosquée, on ne représente pas Dieu ». Le rabbin acquiesce et saisit sa remarque « comment appelle-t-on les religions où l’on croit en un seul dieu ? »,  « c’est les religions monothéistes !». Thomas esquisse un sourire ; quelques notions abordées pendant l’année sont passées.

La grande armoire

Le rabbin interpelle Boubakar : » Et pour toi Boubakar qui crois en Dieu, pourquoi à ton avis les croyants viennent se recueillir à la synagogue, à l’église ou à la mosquée, et respectent certaines règles ?« . Tous les regards se tournent vers ce dernier, assis au deuxième rang, ce qui le laisse, contrairement à son habitude, sans voix. Le rabbin n’a pas le temps de lui reposer la question et d’y répondre car Yani rompt ce silence presque religieux, « c’est quoi la grande chaise au fond, et les sortes de tableaux avec de la lumière en face des noms ? ». Le rabbin lui explique: « Tu vois Yani, cette chaise est utilisée durant les circoncisions. Lorsque l’enfant mâle a une semaine, on le circoncit. » Afin de s’assurer que les enfants  comprennent, Thomas demande au rabbin de revenir ce qu’est la circoncision, ce rite de passage essentiel pour les juifs. Il aborde ensuite la seconde question de Yani, « Sur ces tableaux, le nom de personnes défuntes est inscrit ; les lumières symbolisent le fait que l’on se souvient d’eux et que l’on ne les oublie pas ». Suit un flot de questions portant sur le mobilier de la synagogue, dont les enfants font presque l’inventaire : « pourquoi y a des noms sur les bancs ? » « c’est quoi ce mini placard dans le banc ? il y a quoi dedans ? » « Et l’armoire là-bas, elle sert à quoi ? » Amin parvient néanmoins à faire entendre sa voix « pourquoi il y a deux étages ? ». « Les hommes sont en bas et les femmes en haut pour ne pas se déconcentrer et s’assurer que l’attention reste sur la prière« . Les étagères et armoires regorgeant de livres intriguent elles aussi les enfants « les livres sont tous pour prier ? » « On peut les emprunter chez soi, si on n’a pas assez d’argent pour avoir les siens ? ». Le rabbin explique que ces livres sont fait pour rester à la synagogue, mais qu’il peut accepter, exceptionnellement,  de les prêter.

La visite touche à sa fin ; Yani ne manque pas de rappeler sa promesse au rabbin  » tu nous avais dit quand on est arrivé que tu ouvrirais le rideau de la grande armoire au fond pour voir ce qu’il y a à l’intérieur ! « . Ce dernier s’exécute, suivi par les enfants, excités de découvrir ce que cache ce rideau : ils admirent, émerveillés, les rouleaux de la Torah, le texte saint principal des juifs, ornés pour certains de couronnes et habillés de mentaux de velours.

Avant de quitter la synagogue, Sarah demande avec grand sérieux au rabbin : » Tout à l’heure vous avez dit que c’est notre maison à tous, et qu’on peut venir ici, c’est vrai ? ». Occupé à rassembler les autres enfants, Thomas n’entend pas la réponse ; il est décontenancé, sur le chemin du retour, par la remarque de la petite fille :  » Je vais dire à ma maman que demain je retourne là bas, le monsieur m’a dit que je pouvais venir quand je voulais« . Surpris, mais aussi inquiet de la réaction des parents, il tente de lui expliquer qu’il s’agit d’une formule de politesse, et qu’ils ont visité la synagogue comme un musée. Inquiétude nécessaire ou superflue ?